« Fail. Learn. Succeed. », « In trust we trust », ou encore « Share more, Learn more », ces valeurs font partie de la culture de BlaBlaCar. Son Président Fondateur, Frédéric Mazzella, les partage avec ses deux co-fondateurs, Nicolas Brusson et Francis Nappez, ainsi qu’avec l’ensemble des collaborateurs de la start-up. Rencontre avec le fondateur de la célèbre plateforme de covoiturage.


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Frédéric Mazzella, l’envergure actuelle de BlaBlaCar ne s’est pas créée du jour au lendemain : quelles ont été, à votre sens, les étapes cruciales au développement de BlaBlaCar ?

Tout d’abord, établir un business model pérenne, puis trouver le nom de notre plateforme. Je me rappelle avoir passé 80 nuits blanches et perdu beaucoup d’énergie pour enfin trouver le nom « BlaBlaCar » ! Nous étions passés par une agence de « naming », mais sans succès. L’illumination m’est enfin venue un soir à 1h du matin, en parcourant la page trajet d’un conducteur qui avait indiqué qu’il était « BlaBla » sur son profil. J’avais une liste de critères indispensables : un nom simple qui se retienne facilement, et surtout directement transposable à d’autres langues. Il fallait vraiment un nom rapidement mémorisable, ce qui peut faire gagner beaucoup en dépenses marketing. Puis j’ai élaboré une liste, y ai inclus le nom BlaBlaCar. J’ai demandé à mes proches de la lire et de me réciter les noms qu’ils avaient mémorisés… C’est ce qui a déterminé le choix du nom BlaBlaCar, très mémorisable et sympathique. Autre étape déterminante pour la plateforme : le premier financement, 600 000 euros rassemblés au cours de l’année 2009. D’autres ont suivi ensuite : 1,25 millions d’euros auprès d’ISAI en avril 2010 – leur tout premier investissement, c’était nous ! –, 10 millions de dollars auprès d’Accel Partners début 2012, 100 millions de dollars auprès d’Index ventures en 2014… Avant la levée de fonds record, en 2015, de 200 millions de dollars d’Insight Venture Partners et Lead Edge Capital, avec la participation de Vostok New Ventures.

Comment trouver le bon investisseur ?

BlaBlaCar a pu grandir grâce à la contribution de Francis Nappez, co-fondateur et directeur technique, et Nicolas Brusson, co-fondateur et actuel directeur général de BlaBlaCar. Ce dernier travaillait à l’époque dans le capital-risque et nous a évité pas mal de pièges.
Pour trouver le bon investisseur, il faut que le courant passe bien, que l’on partage la même ambition, qu’il y ait un bon feeling dès le départ : l’investisseur est le partenaire de la croissance d’une entreprise, il ne faut pas se dire qu’il ne représente qu’un apport d’argent. Il amène ses connaissances, son réseau, ses méthodes de croissance, son expérience, voire des opportunités à l’international… Et de bons conseils. Dans ses recherches, il ne faut pas se précipiter et rencontrer tous les investisseurs potentiels, déterminer ceux qui sont pertinents et comprennent l’activité. Disons qu’il faut en rencontrer entre 5 et 10, pour se faire une idée solide de leurs parcours et de leurs moyens de contribuer à la croissance de l’entreprise.

Dur de trouver le bon business model ?

Ça a été pour le moins sportif : 6 essais en moins de 5 ans ! Il y en a qui ont marché, d’autres pas du tout : la vente de la plateforme en B to B a bien fonctionné au début, mais chaque entreprise avait ses contraintes et ses exigences, ce qui nous demandait énormément de temps pour concevoir des plateformes adaptées à chacune.

Nous avons ensuite exploré la piste de l’option premium : les membres « Club » qui souscrivaient un abonnement payant voyaient leurs annonces de covoiturage en haut des résultats de recherche sur la plateforme. Nous avons aussi essayé un temps le pont téléphonique pour mettre en relation les membres avec un numéro payant, c’était compliqué aussi puisqu’il fallait faire rentrer dans la boucle l’hébergeur téléphonique… Les utilisateurs de BlaBlaCar n’étaient pas forcément joignables lors des appels, ce qui pouvait être frustrant. Finalement, après ces nombreux essais, nous avons adopté notre business model actuel, la réservation en ligne : les passagers réservent et paient leur trajet en ligne, à l’avance, et nous prenons une commission qui finance le service et sa croissance.

Quelles sont à vos yeux vos plus grandes victoires ?

La culture de BlaBlaCar. Nous avons 10 valeurs sur lesquelles se base toute la culture d’entreprise. Et elles sont résumées dans un livre que nous avons écrit en 2016, Inside Story. La démocratisation du covoiturage est aussi une victoire à mes yeux. Moi qui faisais du stop, j’ai toujours trouvé qu’il y avait un déséquilibre entre le conducteur et l’auto-stoppeur. Je donnais toujours de l’argent au conducteur pour ne pas me sentir redevable. En auto-stop, il y a trois problématiques : on ne sait ni où ni quand on partira ; ni avec qui ; enfin, le passager ne participe pas aux frais. Le covoiturage permet de rééquilibrer ce mode de fonctionnement avec une transaction simple qui fait que ça marche beaucoup mieux entre les gens. Aujourd’hui, BlaBlaCar compte 45 millions d’utilisateurs, dont 12 millions en France. Chaque trimestre, notre plateforme permet à 12 millions de personnes de voyager. À titre de comparaison, British Airways en fait voyager 10 millions par trimestre ! Le covoiturage est vraiment devenu un mode de mobilité pour tout le monde.

Votre plateforme repose également sur une valeur importante, la confiance…

La technologie actuelle permet de construire de nouveaux modèles de confiance. Nous avons même mené une des plus grandes enquêtes en ligne, auprès de 18 000 membres BlaBlaCar dans 11 pays interrogés : les résultats sont phénoménaux ! 88 % des personnes sondées accordent une grande confiance aux membres BlaBlaCar dont les profils sont complets, soit beaucoup plus que la confiance accordée aux collègues ou aux voisins (42 et 58 % respectivement) et presque autant que la confiance que l’on accorde aux amis et à sa famille (92 et 94 % respectivement). Au-delà même de BlaBlaCar, on assiste à la toute-puissance des réseaux sociaux, qui créent du lien et de la confiance : c’est une première dans l’histoire humaine !

Que vous inspire le monde de l’entreprise aujourd’hui en France ?

Il y a 10 ans, créer sa boîte paraissait inconcevable pour les jeunes diplômés en France. L’option normale et certaine restait le salariat. Aujourd’hui, créer son entreprise est une option. C’est un changement d’état d’esprit. La tendance est à la nouvelle économie, on sent un nouveau souffle propice à la créativité.

Il existe en outre de plus en plus d’incubateurs et d’accélérateurs qui portent les jeunes projets, ce qui n’existait pas il y a quelques années. Idem pour les financements qui ont été multipliés par 5 de 2011 à 2016 : en Europe, 13 milliards d’euros ont été accordés pour les jeunes entreprises, dont 2,7 en France, rien que pour l’année 2016… Contre 1,7 seulement en 2015, toujours pour la France. Mais parallèlement, le Code du Travail est compliqué : il faudrait l’adapter et le simplifier en se focalisant sur ce qui est important. Quand c’est trop compliqué, on perd du temps et donc de la valeur. Je pense que tous les process devraient être simplifiés.

Quels conseils donnez-vous aux entrepreneurs qui veulent se lancer ?

Ne pas partir tout seul, s’engager avec les personnes avec qui l’on s’entend le mieux. J’ai la chance d’avoir deux co-fondateurs aux savoir-faire complémentaires et qui sont aussi mes amis. Enfin, écouter les utilisateurs de son produit et être soi-même utilisateur : quand on le conçoit, on n’a pas les mêmes idées que lorsqu’on l’utilise. Une chance pour moi, utiliser le covoiturage, c’est facile !