ANCIEN DU RAID ET SPÉCIALISTE INTERNATIONAL DE LA NÉGOCIATION, CO-FONDATEUR DE LA SOCIÉTÉ ADN (AGENCE DES NÉGOCIATEURS), LAURENT COMBALBERT A ÉLARGI SON SAVOIR-FAIRE AU MONDE DE L’ENTREPRISE. SITUATIONS DE CRISE, DISCUSSION SOCIALE OU FUSIONS ET ACQUISITIONS : IL ENSEIGNE ET TRANSPOSE LES FONDAMENTAUX DE LA NÉGOCIATION À TOUTES LES SITUATIONS OÙ LE CONFLIT S’IMPOSE.

Vous étiez présent lors de l’université d’été de Wikane en septembre. Quel a été le sujet de votre intervention ?

Je travaille sur la notion d’agilité collective à travers l’exemple de négociations complexes : je leur ai montré comment, aujourd’hui, la négociation en entreprise demande une véritable préparation et un travail d’équipe.

Vous avez créé, avec Marwan Mery, l’Agence des Négociateurs : quels sont vos domaines d’intervention et vos clients ?

On travaille aussi bien avec des diplomates de l’ONU qu’avec des médecins qui ont des problèmes dans la relation avec certains patients… On travaille aussi avec des DRH, des commerciaux, des décideurs, des salariés sur la négociation dans leur quotidien. Il y a tous les styles de publics, tout le monde doit faire face à des conflits au quotidien, ce qui nécessite une approche méthodologique particulière.

Comment passe-t-on du Raid et de la négociation avec des preneurs d’otages, au conseil aux entreprises et organisations ?

J’ai effectivement commencé à travailler sur des situations de kidnapping et de prise d’otages quand j’étais membre du Raid. J’ai ensuite utilisé cette expérience pour aider certaines entreprises à gérer des situations de crise exceptionnelles : extorsion, piratage informatique, etc. Puis, je suis passé à la négociation sociale, et ensuite commerciale… La négociation n’est pas une matière annexe mais un sujet central et fondamental pour tous les managers. L’évolution de la demande a été très rapide : il y a un vrai besoin de négociation.

La négociation est donc au cœur de notre quotidien ?

On passe sa vie à négocier ! À l’école, au travail, avec ses fournisseurs ou ses clients, avec les syndicats, même avec ses enfants : on négocie tout le temps. Pourtant, il existe très peu de formations à la négociation dans les grandes écoles de commerce, dans les MBA. Cela commence un peu à changer, les grandes entreprises prennent conscience de l’importance de la négociation. Et notre référentiel, intitulé PACIFICAT, vient d’être retenu comme référentiel de négociation par l’ONU : c’est un vrai sujet.

Pourtant, la négociation s’apprend, cela veut donc dire qu’elle n’est pas naturelle ?

On le constate avec les enfants : nous intervenons dans les écoles avec ADN Kids, pour former les scolaires. Par exemple, on fait une expérience : deux groupes d’enfants, de chaque côté du chiffre 9. Un groupe y voit un 9, l’autre y voit un 6. En une minute, c’est la guerre ! Chacun cherche à convaincre l’autre qu’il a raison… La logique spontanée est la compétition, pas la coopération. Une logique conditionnée par une éducation fondée sur l’esprit de compétition, être le meilleur. Et la coopération demande un effort ! Celui d’écouter et d’essayer d’accepter le point de vue de l’autre. C’est ce que nous tentons d’enseigner.

Vous avez créé un référentiel, cela veut-il dire qu’il existe une méthode de négociation ?

Il n’y a pas de méthode qui apporte une réponse unique et toute faite. C’est cependant ce que l’on croyait dans les années 1970 et 1980. Aujourd’hui, on sait que ce sont les questions clés qu’on se pose lors de la préparation puis lors de la conduite de la négociation qui comptent : il n’y a pas de bonnes réponses mais seulement de bonnes questions… La négociation se fonde essentiellement sur de la pratique, elle nécessite du terrain et de l’expérience. La théorie vient seulement appuyer la mise en œuvre. Seule, elle ne peut rien. Mais par exemple, un DRH ou un commercial qui a beaucoup d’expérience peut être un bon négociateur et utiliser des méthodes éprouvées sans le savoir …

Qu’est-ce qu’une bonne négociation ?

C’est une négociation qui répond à cette règle simple : chaque partie doit réussir à satisfaire l’enjeu fixé au départ et le besoin exprimé, que ce soit un besoin financier, psychologique, social… Chacun doit se sentir satisfait. Il ne faut pas chercher à léser l’autre : cela peut fonctionner une fois, mais pas plus. Car on perd la confiance de son interlocuteur. Mais attention, l’enjeu est plus important que l’objectif : il n’est pas forcément quantifiable. Par exemple, je cherche à vendre un objet à 50 €. Si mon enjeu est de m’en débarrasser tout en me faisant un peu d’argent, je suis satisfait même si je le vends 30 €. Alors que si mon enjeu est de récupérer 50 € pour les réinvestir, je ne serai pas satisfait en dessous de 50 € de prix de vente. Une bonne négociation, c’est enfin 70 % de préparation et 30 % d’improvisation. Une improvisation éclairée et guidée par la préparation. On doit s’adapter à l’autre, et une improvisation réussie se prépare bien en amont …

Quelles sont les qualités d’un bon négociateur ?

Il doit avoir le goût du conflit : la négociation est un désaccord exprimé, ce qui n’est pas forcément négatif et qui peut souvent s’avérer constructif. Il faut être capable de considérer que le conflit peut créer de la valeur ajoutée. Ensuite, il faut être capable d’assertivité : défendre son point de vue tout en acceptant celui de l’autre. L’empathie est également indispensable pour essayer de comprendre son interlocuteur. Enfin l’agilité : la capacité d’adaptation et d’improvisation.

Vous avez également évoqué le travail en équipe : pourquoi est-ce important de mener une négociation à plusieurs ?

Pour les grosses négociations, il est difficile de travailler seul. En équipe, on fonctionne en réseau lors de la phase de préparation et du débriefing. Il ne faut pas oublier que nous avons une charge cognitive limitée, en travaillant à plusieurs, on multiplie notre capacité. Ensuite, travailler en équipe offre une ou plusieurs visions alternatives, grâce aux profils de l’équipe : des analyses différentes et complémentaires.

Avec qui est-ce le plus difficile de négocier : ses enfants ou des terroristes ?

Avec ses enfants, c’est difficile car on a de l’affect, de la sympathie : on partage des émotions et on perd en objectivité. Avec des terroristes, on n’a pas d’objectif partagé, ils sont prêts à mourir, la négociation est plus difficile. C’est souvent l’assaut qui sera déclencheur.

Quel est votre souvenir de négociation le plus marquant ?

Lors de la tentative d’évasion de la prison de Fresnes en 2001 de deux détenus. Ils avaient fait venir un hélicoptère, avaient des armes et des équipements, et ont pris deux surveillants en otage. De notre côté, on ne pouvait pas ouvrir la porte de la prison. Il a fallu trouver leur enjeu !

Comment votre parcours vous a-t-il aidé à devenir spécialiste de la négociation ?

J’ai fait des études de droit et de sciences politiques. J’ai ensuite passé le concours d’officier de police et j’ai intégré le Raid. J’ai été sollicité par Michel Marie, alors qu’il montait la première équipe de négociation du Raid. Il a fallu tout inventer : j’ai alors cherché à voir partout dans le monde ce qui se faisait sur le sujet pour n’en garder que le meilleur. J’ai suivi une formation au FBI à Quantico, une à HEC, puis en Afrique du Sud et à Scotland Yard. J’ai vu une grande disparité de techniques. Par exemple, les Américains du FBI aiment beaucoup les procédures : tout est écrit, mais cela fonctionne moins bien avec le facteur humain, assez imprévisible. C’est justement ce qui leur plaît dans notre méthode : elle offre un cadre mais avec de grandes capacités d’improvisation.

Comment avez-vous construit votre référentiel PACIFICAT ?

Des enseignements suivis et de mon expérience au Raid, j’ai créé ma méthode pour proposer un processus complet, depuis la préparation de la négociation jusqu’au débriefing, pour traiter les cas de forcenés, de preneurs d’otages, de kidnappings. J’ai développé mon propre référentiel, et je me suis aperçu qu’il fonctionnait aussi dans le monde de l’entreprise. Puis, j’ai rencontré Marwan Mery, et ensemble nous avons fait évoluer ce référentiel qui est devenu PACIFICAT. Il continue à évoluer, mais sa colonne vertébrale ne bouge plus. Car on est toujours surpris par de nouveaux comportements, des situations, des réactions… On n’a jamais fini de développer des méthodes et des techniques. Nous allons publier notre référentiel PACIFICAT en mars 2019 pour le rendre accessible à tout le monde. ●