ÉQUIPIER HORS PAIR COURTISÉ PAR LES MEILLEURS SKIPPERS DU MONDE, JACQUES CARAËS A TROQUÉ SA CASQUETTE DE MARIN CONTRE CELLE DE DIRECTEUR DE COURSE. RENCONTRE AVEC LE CHEF D’ORCHESTRE DE NOMBREUSES COURSES AU LARGE, DONT LE VENDÉE GLOBE ET LA ROUTE DU RHUM-DESTINATION GUADELOUPE.

Quel est votre parcours en tant que marin ?

J’ai navigué pendant une trentaine d’années sur toutes les mers du Globe, de la Mini Transat au Trophée Jules Verne, en passant notamment par la Solitaire du Figaro, The Race, la Transat Jacques Vabre ou encore l’America’s Cup.

Vous étiez un équipier très recherché. Qu’est ce qui vous a poussé à vous reconvertir en directeur de course ?

Ce n’était pas une volonté de ma part, mais quand Le Figaro, qui organisait encore la Solitaire du Figaro, m’a approché en 2007, j’ai accepté. J’ai fait six éditions. La Classe IMOCA m’a ensuite contacté pour travailler sur les courses de sélection au Vendée Globe. J’ai travaillé dans un premier temps avec Denis Horeau, le directeur de course de l’époque, avant de prendre sa succession en 2016. OC Sport m’a ensuite confié la direction de course de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe 2018. Tout s’est enchaîné assez naturellement.

Est-ce facile de concilier carrière de marin et de directeur de course ?

L’organisation d’une course demande beaucoup de travail en amont. Il est donc difficile de répondre aux sollicitations sur le plan sportif. J’ai réussi à faire quelques courses au début, mais depuis que je travaille sur des épreuves plus importantes comme la Route du Rhum ou le Vendée Globe, je suis obligé de me concentrer sur cet aspect.

En quoi consiste le métier de directeur de course ?

Le directeur de course, qui est le garant du respect des règles, a un rôle transversal sur toute la partie maritime. En amont, il rédige notamment les documents officiels dont l’avis de course, fait le lien entre l’organisateur de la course, la FFVoile et les coureurs, gère les qualifications, les inscriptions, s’occupe des formalités avec les affaires maritimes, organise des réunions avec les autorités locales des villes de départ et d’arrivée et met en place des recommandations sportives. Sur le plan sportif, on est épaulé par les arbitres de la FFVoile et par le président du Comité de Course, qui juge de l’équité sportive sur l’eau. Le directeur de course a également pour mission de préparer le départ de la course et la sécurisation de la zone, car il peut y avoir beaucoup de monde sur l’eau… Et quand les bateaux sont en mer, la direction de course est en charge du suivi de la course et de la sécurité des bateaux.

Comment cela se passe-t-il ?

On suit la position des bateaux 24h/24. On a tout le temps le regard sur la cartographie, jusqu’à l’arrivée du dernier concurrent. Si l’on observe une trajectoire ou une vitesse anormales, on contacte le Team Manager du bateau pour évaluer le problème. S’il n’a pas la réponse, on contacte le skipper directement. En cas de problème majeur, c’est la direction de course qui déclenche la cellule de crise. On peut être amené à travailler avec le CROSS (Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage) en France, ou le MRCC (Maritime Rescue Coordination Center) à l’étranger, à qui on doit fournir un rapport détaillé sur les compétiteurs, qui comprend notamment leur numéro de balise de détresse. Les dossiers doivent être montés rigoureusement pour que les secours puissent y avoir accès directement.

Qu’est-ce que cette fonction demande comme compétences et comme qualités ?

Il faut tout d’abord avoir une bonne expérience maritime et avoir l’habilitation de la FFVoile pour la course au large. Selon moi, il est nécessaire d’avoir un cursus de compétiteur et de coureur au large. C’est un atout d’être passé dans les zones difficiles, car on sait de quoi on parle et ce que vivent les coureurs. Cela renforce la confiance des marins en la direction de course. Il faut également être force de propositions, avoir des
compétences informatiques, mais également de bonnes notions en météo, sachant que l’on transmet des bulletins quotidiens aux coureurs. Il faut être capable de juger de situations compliquées et dépressionnaires, même si on est épaulé par un météorologue professionnel. En résumé, il faut être polyvalent et avoir un bon sens maritime pour pouvoir prendre rapidement les bonnes décisions en cas de difficultés majeures et être prêt pour toutes les éventualités.

Il faut également bien gérer le stress et la pression…

Sur des courses comme le Vendée Globe, le stress monte chez les concurrents dans certaines zones difficiles comme l’Océan Indien ou le Pacifique Sud. On le ressent dans nos échanges par email ou téléphone avec eux. En cas de problème technique, on est leur lien privilégié avec la terre. Il faut être le plus calme possible et répondre de manière assez pesée. On communique en priorité avec le Team Manager pour que le stress ne retombe pas sur le coureur, mais dans tous les cas, on a besoin d’être au courant de tous les pépins du bord.

Combien de personnes composent la direction de course ?

Sur le Vendée Globe, on est quatre. On fonctionne par quarts, et je m’intègre à l’un d’entre eux. En cas de situation de crise, je viens épauler mon adjoint.

Comment est-elle choisie par l’organisateur ?

Dans le cadre du Vendée Globe, j’ai répondu à un appel d’offres, dans lequel j’ai présenté mon équipe, composée de gens que je connais bien et qui ont chacun leur spécialité. C’est au directeur de course de former son équipe. C’est important, car il faut beaucoup de connivence et pas d’ego. Il faut partager et ne garder aucune information pour soi.

Vous êtes également directeur associé de l’agence Kaori et de l’espace Kaori, et vous intervenez dans des séminaires d’entreprises. Quels parallèles peut-on faire entre voile et monde de l’entreprise ?

Ces deux milieux sont très proches, d’autant plus que certaines grosses écuries fonctionnent comme des entreprises, avec des équipes pouvant aller jusqu’à 30 personnes. En outre, la voile est un sport très exposé car on subit les contraintes météorologiques que l’on doit savoir esquiver. On peut mettre ça en perspective avec des entreprises qui rencontrent des situations économiques difficiles. Dans les deux cas, il faut toujours avoir un coup d’avance, anticiper les mauvais coups et en cas de crise avoir les bons mots, la bonne formule pour sortir la personne de sa difficulté. En cas d’avarie majeure en mer, une cellule de crise se monte. Le timing est très précis, et il faut trouver une réponse le plus vite possible. Cela demande d’être très réactif, comme au sein d’une entreprise en cas de situation de crise.

Comment s’annonce la prochaine édition du Vendée Globe ?

On travaille déjà dessus. La particularité de cette édition est qu’il y a beaucoup plus de demandes que de places, sachant que l’avis de course limite le nombre de bateaux à 30 et que l’on a reçu 36 dossiers de pré-inscriptions. On est obligé d’organiser des sélections, ce qui nous demande de suivre les courses préparatoires du circuit IMOCA. En général, il n’y a pas trop de cassure entre les éditions, avec une montée en puissance plus le départ se rapproche. Je travaillerai à plein temps dessus à partir du mois de juin. ●