Franck Riboud, P-DG de Danone :

« pour réussir une transmission, il faut accepter l’idée de rupture »

Entré chez Danone en 1980, P-DG du groupe en 1996 à la suite d’Antoine Riboud, Franck Riboud a choisi la rupture plutôt que la continuité : il a revendu des activités historiques, concentré l’activité sur trois métiers et développé les ventes dans le monde entier. Sous sa direction, le CA est passé de 13 à 20 milliards d’euros et le bénéfice net a été multiplié par 3,5 : un parcours qui inspirera bien des dirigeants de PME.

Vous êtes entré chez Danone en 1980 en tant que contrôleur de gestion. Saviez-vous déjà que vous deviendriez P-DG ?

Absolument pas. Ce n’était pas mon ambition, personne ne m’avait donné de garanties et de toutes façons, 98 % du capital de Danone est flottant : le pouvoir de décision m’échappait complètement.

En revanche, j’ai suivi de facto ce qu’on appellerait aujourd’hui un parcours pour haut potentiel : participation en 1989 à l’acquisition des activités européennes de Nabisco, direction du département Développement du Groupe en 1992…

Les choses se sont précisées en 1994, quand vous êtes devenu Vice-Président Directeur Général ?

Le fait de devenir P-DG entrait effectivement dans le domaine du possible ; sachant qu’il fallait tout de même être élu par le conseil d’administration. Je me suis demandé comment exploiter au mieux ce temps d’attente, me préparer à ce futur rôle.

J’ai choisi d’aller sur le terrain pour mieux connaître nos structures managériales, rencontrer  et écouter les hommes-clés. J’ai aussi visité les pays qui constitueraient nos futurs territoires de croissance. A l’époque, nous faisions seulement 15 % de notre chiffre d’affaires hors de France : l’avenir du groupe passait forcément par l’international.

Quel a été votre cap quand vous avez pris les rênes du groupe ?

Passer tout de suite à l’action, en m’appuyant sur l’équipe dirigeante en place.

Nous étions alignés sur les deux axes stratégiques : développer l’international et nous recentrer sur le biscuit, les produits laitiers et les eaux minérales. Nous étions donc d’accord pour revendre certaines activités – plats cuisinés et verre d’emballage notamment – afin de nous donner les moyens d’internationaliser. Il fallait se mettre au travail sans attendre.

 N’avez-vous pas été freiné par vos 16 années dans le groupe et par le fait de succéder à votre père ? Etait-il facile de revendre Panzani, marque emblématique, qui était aussi l’entreprise où vous aviez fait vos débuts ?

J’ai douté, bien sûr. Je doute en permanence, pour nommer aux postes-clés ou pour recruter par exemple, et je me méfie des certitudes. Mais c’est un doute constructif, qui ne dure qu’un temps et débouche sur une action déterminée.

En 1996, j’ai compris ainsi que l’affectif et l’émotion du passé risquaient de brouiller ma vision de l’avenir. Il fallait une rupture forte et assumée avec l’action de mon prédécesseur pour aller librement de l’avant.

Nous avons décidé sans état d’âme, par exemple de céder des activités dont les ratios de rentabilité étaient inférieurs à ceux du Groupe. Nous avons pris le temps nécessaire, c’est-à-dire 5 à 10 ans selon les sociétés. Mais nous l’avons fait et Danone réalise maintenant 90 % de son chiffre d’affaires en dehors de France.

Avez-vous connu des difficultés ou des échecs ?

Bien sûr, on ne peut pas tout réussir.

En revanche, j’étais solidement épaulé en interne côté stratégie, marchés, produit. De plus, des sommités comme Giovanni Agnelli ou Benoît Potier, P-DG d’Air Liquide, siégeaient au conseil d’administration. De ce fait, les risques étaient réduits.

Vos conseils aux dirigeants de PME qui préparent une transmission ?

La seule difficulté, et elle est majeure, est de choisir le bon successeur : celui qui préparera l’avenir sans être prisonnier du passé. Alors que pour se rassurer, on préfère transmettre à un dirigeant qui vous ressemble ou au fidèle bras droit.

L’entreprise risque alors de s’enfermer dans ses principes immuables, dans le « on a toujours fait comme ça ». Les dirigeants de PME, qui n’ont pas la chance d’être solidement entourés,  doivent pourtant se méfier des évidences et des choix qui favorisent le confort personnel et familial.

Comment Danone arrive-t-il à innover sur un métier aussi traditionnel que l’alimentation, loin des technologies de pointe ou du web ?

Les secteurs de pointe n’ont pas le monopole de l’innovation ! La vraie innovation, pour moi, c’est celle qui permet de dégager chaque année 4 à 5 % de croissance, comme nous le faisons ; et elle est à la portée de tous les dirigeants.

Je connais des coiffeurs, des restaurateurs qui font de la croissance : ils innovent sur le taux de service, sur la qualité, sur l’accueil, sur l’emplacement… Nous avons lancé un nouveau pot de yaourt, différenciant, destiné à redynamiser les ventes, un yaourt grec hyperprotéiné aux US, dont les ventes connaissent une progression à deux chiffres, sur un segment qui représente désormais 35 % du marché des produits laitiers frais dans ce pays. C’est une question d’état d’esprit, pas de métier.

Où trouvez-vous l’inspiration pour innover ?

Beaucoup dans les pays émergents, qui regorgent d’idées et de bonnes pratiques applicables ailleurs.

Sans aller aussi loin, tout dirigeant d’entreprise peut innover en étant bon dans son métier et en restant à l’affût : ouvrir les yeux et les oreilles, être curieux, sortir de son entreprise pour questionner ses clients…

Malgré tout, la PME innovante sera toujours handicapée par rapport au grand groupe…

Pas d’accord ! On est toujours le petit de quelqu’un, même Danone qui, je le rappelle, pèse cinq fois moins lourd que les 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires de Nestlé.

Les PME ont des handicaps par rapport aux groupes, c’est vrai. Mais aussi des atouts importants : la flexibilité, la rapidité, la connexion directe entre le dirigeant et son organisation. Leurs dirigeants ne doivent pas avoir de complexes : ils peuvent se battre et innover avec leurs armes, en misant sur leur expertise métier.

Franck Riboud en quelques dates

1955 – Naissance à Lyon.

1980 – Diplôme en génie mécanique de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne  – Entre chez BSN comme contrôleur de gestion.

1990 – Directeur général de la société des Eaux minérales d’Evian.

1994 – Franck Riboud est nommé Vice Président Directeur Général.

1996 – P-DG de Danone.

2007 – Président de Danone Communities, un fonds d’investissement qui promeut le social business, avec le prix Nobel de la Paix 2006 Muhammad Yunus.

2011 – Danone réalise 51 % de ses ventes dans les pays émergents.